Heurs et malheurs des petits éditeurs

A quelques jours de l'ouverture du Salon du livre (le 23 mars), coup de chapeau aux maisons indépendantes qui font vivre l'édition. Une sélection arbitraire : elles ne sont pas moins de 4 000 en France...

Edition du livre


Nichées dans des recoins du Paris « bobo », elles emploient chacune cinq salariés, publient au compte-gouttes des auteurs exigeants. Et pourtant les plus grands groupes sont prêts à aligner les millions pour les racheter. Explication : les éditions Viviane Hamy et Le Dilettante - deux microstructures au regard des géants du marché - éditent, respectivement, Fred Vargas et Anna Gavalda, poules aux oeufs d'or qu'elles ont su dénicher, lancer, et fidéliser...

Une preuve, parmi bien d'autres, de la vitalité des maisons d'édition indépendantes, qui, depuis une vingtaine d'années, font la richesse du tissu éditorial français. De la PME florissante à l'artisan solitaire penché sur sa presse offset, elles seraient aujourd'hui pas moins de 4 000 à Paris et en province - chiffre invérifiable tant il en naît et meurt, dans l'indifférence générale. Nourries d'idéaux post-soixante-huitards et de la manne de la décentralisation, ces maisons portent souvent le nom de leur fondateur, passé par les grandes maisons avant de tenter l'aventure en solo. On trouve là de drôles de dames (Viviane Hamy, Liana Lévi, Anne-Marie Métailié, Sabine Wespieser, Héloïse d'Ormesson...), et quelques messieurs (Leo Scheer, Yves Michalon, Philippe Picquier, Philippe Rey...). Mais la plupart préfèrent se cacher sous des appellations ésotériques - Les Arènes, les Equateurs, Les Deux Terres, Galilée, Le Temps qu'il fait, Au Diable Vauvert, Finitude, Fata Morgana, Le Castor astral...

Le point commun de tous ces « mavericks » ? Le goût des auteurs hors-normes, le soin apporté à l'objet livre et un profil psychologique qu'on jugera - c'est selon - farouchement indépendant ou proche de la mégalomanie ! Car il faut de l'énergie, voire de l'inconscience pour naviguer sur un marché du livre en recul de 1,5 % l'an dernier. Malgré un beau catalogue, une maison comme Farrago, basée à Tours, vient de succomber après dix ans d'efforts. Mais pour une enseigne qui sombre, d'autres surgissent, y compris sur le secteur sinistré des sciences humaines ou de la poésie. Car, à l'ère informatique, fabriquer un livre s'avère bien moins coûteux que par le passé.

Le goulet d'étranglement se situe en aval, au niveau de la diffusion et de la distribution, ce que beaucoup réalisent trop tard. « La librairie souffre, envahie par une surproduction qui l'amène à faire des choix, constate l'éditeur Philippe Picquier. Seuls les grands éditeurs ont la force de frappe pour imposer leurs livres. » Pour aider les petites structures à se frayer une place sur les présentoirs, le Syndicat national de l'édition vient de lancer Calibre, un système de distribution soutenu par le ministère de la Culture. Mais, à l'âge d'Internet et de la télé-réalité, reste-t-il encore une place pour une édition de qualité, étrangère aux diktats mercantiles ? Certains, à l'écart des vents dominants, ont su creuser leurs niches improbables. Comme ce Lérot qui, depuis vingt ans, abrite ses locaux derrière les vieux murs d'un village charentais, près d'Angoulême. Légende vivante de l'édition, Jean-Paul Louis y ressuscite les malchanceux de la littérature fin de siècle, les caïds du roman prolétarien, sans oublier de somptueux dictionnaires consacrés à Nerval ou Baudelaire, signés des meilleurs érudits. Tirés et vendus à 500 exemplaires, ses best-sellers feraient rire les grandes maisons germanopratines. Mais, d'ici cinquante ans, on les trouvera encore sur les étagères des amoureux de l'écrit, quand tant de succès de l'année auront depuis longtemps fini au pilon.

Le dilettante : LA GAVALDA-DÉPENDANCE

Patron des éditions Le Dilettante, Dominique Gaultier occupe la place de la standardiste derrière un guichet, près de l'entrée de la librairie qui lui sert de QG . « J'ai commencé dans la vie comme aide-comptable, ça m'a donné la phobie des bureaux », lâche ce gaillard de 53 ans au crâne dégarni et aux tweeds flamboyants. Une modestie d'autant plus méritoire que Le Dilettante, maison connue pour ses auteurs comme Vincent Ravalec et ses couvertures kitsch, est l'une des plus rentables de la place, selon les classements de Livres Hebdo . Un miracle ? Non, l'effet Anna Gavalda. Quand, il y a huit ans, cette inconnue lui adressa par la poste le manuscrit de « Je voudrais que quelqu'un m'attende quelque part », Dominique Gaultier a répondu en quarante-huit heures, brûlant la politesse aux « majors » de l'édition. Le Dilettante passa sans transition des vaches maigres à l'opulence, et d'un unique salarié à cinq. Dominique Gaultier ne se fait pourtant guère d'illusions. « Moi, indépendant ? Mais je dépends de plein de choses, de l'humeur des libraires, de mon distributeur... et d'Anna Gavalda. » La reine de la littérature « bobo », heureusement, doit encore un roman à son éditeur...

Le Dilettante, 19, rue Racine, 75006 Paris. 01.43.37.98.98.

Philippe picquier TOUT SUR L'ASIE

Il était une fois un enfant qui ne rêvait que de Gengis Khan et de chevauchées dans les steppes. Cinq décennies plus tard, Philippe Picquier, 56 ans, règne sur un petit empire éditorial voué à l'Asie. L'un de ses livres phares est un roman sur le conquérant mongol, « Le loup bleu », de Yasushi Inoué, vendu à près de 70 000 exemplaires. Parmi les 800 titres de son catalogue, on trouve moult romans contemporains, mais aussi des textes érotiques, des mangas, des livres d'art ou de cuisine. Tous made in China , Japan ou India . Déficitaire pendant douze ans, la maison Picquier, créée en 1986, recueille aujourd'hui les fruits de la vogue orientale. « Il fallait du temps pour mettre les lecteurs à niveau », dit cet éditeur dont les traits semblent avoir pris quelque chose d'asiatique. Mais qui reste basé à Arles (Bouches-du-Rhône), auprès de son distributeur et actionnaire à 60 %, Harmonia Mundi. En bon « passeur », Picquier n'oublie pas d'envoyer ses productions à un fan haut placé : Jacques Chirac, avec qui il parle parfois de la solitude des empereurs de Chine, derrière les murailles de leur cité interdite...

Ed. Philippe Picquier, Le Mas-de-Vert, 13200 Arles. 04.90.49.61.56.

Séquences CLAP DE FIN ?

« Excusez-moi, je mets mon couvre-chef, il fait trop froid dans cette boutique ! » L'air navré, Jean-Pierre Moreau visse son béret sur ses cheveux gris. Faute de chauffage, la température ne dépasse pas 10 degrés dans son atelier, au fin fond d'une banlieue de Nantes. Pis : l'humidité fait se gondoler le papier vergé de ses livres, empilés sur les rayonnages...

Qui se douterait en voyant, dans la vitrine de Tschann ou de La Hune, les raffinés ouvrages des éditions Séquences qu'ils sortent de ce hangar où cet artisan de 64 ans s'échine sur sa presse offset, pour l'amour de Ramuz, Rémy de Gourmont ou Paul Gadenne ( « un type qui parle de la vie et de ses difficultés, qui ne triche pas ») ? Il y a du Péguy période Cahiers de la Quinzaine chez ce solitaire assis fièrement sur son stock de merveilles invendables. « Dans les années 80, pourtant, ça marchait bien. Et puis, la Fnac, la librairie du musée d'Orsay n'ont plus pris mes livres... » Son « best-seller », « L'ascension du mont Ventoux » de Pétrarque, vendu à 7 000 exemplaires, ou un encensement du dernier livre de Jean-François Nivet par Le Nouvel Obs n'ont pas suffi à assurer la flottaison. « Je suis en bout de course. J'appartiens à la culture du livre, une autre arrive. Je vais sans doute fermer boutique à la fin de l'année. S'il le faut, je vendrai mon stock sur les marchés au milieu des marchands de légumes. Je n'ai pas honte. »

Séquences, 26, rue des Berlaguts, 44232 Saint-Sébastien-sur-Loire. 02.40.05.42.42.

Nicolas Chaudun : UN GENTLEMAN CORSAIRE

« L'édition, c'est huit ou dix grands bateaux, environnés de frêles esquifs qui naviguent à vue dans les remous. Disons que moi, je suis un petit navire corsaire bien gréé. » Nicolas Chaudun, 44 ans, a la formule fleurie et la rapière en bandoulière. Ex-directeur du mensuel Beaux-Arts, il pratique son métier d'éditeur d'art en « chasseur de primes », dit-il. Non par cynisme, mais par nécessité : pour couvrir ses frais, il lui faut décrocher des coéditions avec des institutions. Avec le musée Jacquemart-André, il a ainsi publié un « David », avec l'Institut de France un « Primatice », avec le ministère de la Défense, cette année, un formidable « Vauban ». Des partenariats qui permettent au flibustier et à son équipage de quatre jeunes femmes de rivaliser avec les gros tonnages. Auteur d'un pamphlet contre le vandalisme moderne (« Le paysage, les ploucs et moi », éd. du Rocher), ce dandy d'un autre siècle chausse, chaque fin de semaine, ses bottes de gentleman-farmer dans la Sarthe. Et met un point d'honneur à faire éditer ses beaux ouvrages dans une imprimerie « propre », non polluante

Ed. Nicolas Chaudun, 7, rue des Francs-Bourgeois, 75004 Paris. 01.42.78.03.45.

Claire Paulhan : écrits intimes

Petite-fille du grand manitou de la NRF, Claire Paulhan livre ses ouvrages à vélo à la librairie Gallimard du boulevard Raspail. Tel est le prix de l'indépendance pour cette archiviste de l'Institut Mémoires de l'édition contemporaine (Imec), qui consacre son temps libre à la maison qui porte son nom, et dont elle est l'unique employée. Son plaisir : choisir une typo élégante, marier la tonalité parme ou gris-vert d'une couverture avec celle d'un texte. Jean Paulhan ( « Un grand-père merveilleux », dit-elle) se taille évidemment la part du lion dans sa production, centrée sur les journaux intimes et les correspondances. Mais Mme Paulhan a aussi relancé Mireille Havet, écrivaine lesbienne des années 30. Hélas, malgré son fichier de 3 500 fidèles, sa maison, depuis deux ans, perd de l'argent. « Il y a le prix du papier, les tarifs des transporteurs , les libraires mauvais payeurs. Et une indéniable récession de la culture. On a descendu une marche il y a trois, quatre ans, une autre cette année. » Pour autant, Mme Paulhan vit avec son temps : elle prépare avec Google la numérisation des titres épuisés de son fonds.

Editions Claire Paulhan, 85, rue de Reuilly, 75012 Paris. 01.43.41.47.38.


Des revues mieux qu'à paris


D es revues si belles qu'on dirait des livres... Tel le cas de 303 , du Festin ou encore de L'Alpe . Mariant patrimoine régional et création contemporaine, ces trimestriels culturels prouvent qu'on peut, en « région », faire plus élégant, plus soigné, plus intelligent qu'à Paris.

La pionnière fut 303 , « bébé culturel » de feu Olivier Guichard, animée par un ancien de l'Inventaire général du patrimoine, Jacques Cailleteau. Pourquoi 303 ? Parce que c'est la somme des départements qui composent la région des Pays de la Loire. Abritée et subventionnée par le conseil régional, la revue nantaise vient de fêter ses 20 ans avec un numéro spécial consacré à Julien Gracq, le grand écrivain régional. Au sommaire, des hommages de Pierre Michon ou Ismaël Kadaré, quelques inédits gracquiens et des photos récentes de l'ermite de Saint-Florent-le-Vieil (96 ans). Qui, dit-on, a goûté ce bel hommage. Souhaitons simplement que la nouvelle direction, en cherchant à relooker la revue, ne dévie pas de sa ligne exigeante...

303 a en tout cas fait de dignes émules, à commencer par Le Festin, son jumeau plus coloré, plus festif, bref : plus aquitain. Son sommaire fait se côtoyer le surf et la forêt des Landes, le patrimoine balnéaire et le tramway de Bordeaux, sans oublier l'ethnologie du sport et de la gastronomie. Subventionné à 35 %, Le Festin séduit 5 000 acheteurs, envoûtés par son parfum d'océan chic et de terroir gascon. Et puis il y a L'Alpe, revue du groupe Glénat, et tant d'autres : on n'en finirait pas de décliner les mérites de ces belles provinciales, alanguies sur leur papier glacé F. D.